La semaine dernière, j’ai vu un film
vert, marron et beige, piqué de reflets scintillants comme un grand fleuve américain : Mud - sur les rives du Mississippi.
Jeff Nichols prend acte d’une
disparition : celle, annoncée, du mode de vie associé aux
berges du Mississippi. Son point de vue ne se veut pas
nostalgique, mais il observe une sorte de charnière, et il construit son
film autour d’elle. Par répercussion, tous ses personnages sont au
bord de quelque chose – je veux dire : pas seulement au bord de l’eau. Pour
le figurer, aux confins de l’enfance, il y a des
adolescents : Ellis et Neckbone. Il y a aussi "Mud",
qui pour être officiellement adulte, n’en est pas moins en
transit. La boue ("Mud"), qui lui donne son nom, évoque cet état
meuble et intermédiaire (entre la terre et l’eau). Il s'y embourbe, elle s'immisce jusque sous ses ongles. Ce personnage est fait de boue.
Mud retient l’attention. Il a une
belle façon d'apparaître au début du film. On remarque d’abord des traces de pas, près de la coque du bateau d’Ellis et
Neckbone. Les deux garçons les suivent sur le rivage, pour se
laisser surprendre par leur interruption quelques mètres plus loin. "Où est-il passé ?" Ellis se retourne : un homme a su apparaître à leur insu, en l’espace de quelques secondes, à
côté de leur bateau. Aucun mystère ne sera levé. Le fantastique fait
donc cette irruption singulière, dans un film qui verse par ailleurs
du coté d’un certain réalisme. C’est que la réalité qu’il
désigne inclut la disparition dont j’ai parlé plus haut : les familles désertent leurs maisons flottantes pour
rejoindre la ville. Or, la disparition est aussi un phénomène privilégié
du fantastique – que celui-ci corrèle volontiers avec son contraire :
l’apparition.
Au départ, la présence de Mud n'est signalée que par ses empreintes ; et celles-ci vont
témoigner de sa disparition, avant même qu’il n’apparaisse. Le
binôme disparition/apparition structure le film dans son entier, et
tout particulièrement le personnage de Mud. On apprend
donc qu'il est en cavale. Il se cache sur cette île, il fuit les
regards : de ce point de vue, il cherche à disparaître. En le
voyant évoluer à l’écran, on se demande où, quand et
comment il va finir par apparaître (aux yeux de sa dulcinée, de ses
proches, et de ce monde qui le traque). Pour nous y inviter, à chaque
fois qu'Ellis va le rejoindre sur l’île, Mud se
laisse un temps chercher du regard. Il ne dort jamais au même
endroit ; il n’apparaît jamais exactement là où on
l’attend.
J'ai fait disparaître mon dernier paragraphe (ci-dessous) parce qu'il raconte la fin du film. Je laisse à ceux qui ont vu Mud,
le soin de le faire apparaître.
Dans Mud, on n’apparaît pas
quelque part sans disparaître ailleurs, et (c’est là l'optimisme du film) on ne disparaît pas quelque part sans apparaître
ailleurs. La première apparition de Mud sur le rivage, et cette
histoire de traces qui disparaissent juste avant, sont les clefs du film.
De tout son long, celui-ci raconte l’apparition de Mud (la vraie),
ce qui suppose sa disparition dans les eaux du
fleuve. Car suite à cette disparition, le dernier plan montre bien Mud en train d’apparaître,
devant le Golfe du Mexique (là où le fleuve, et l'image, disparaissent ensemble). Et tout se
passe comme s’il apparaissait tout de bon cette fois, comme si l’on n’avait jamais fait que suivre ses traces jusqu’ici. D’ailleurs je suis sûre qu'il ne s'appelle pas vraiment "Mud".
Excellent point de vue, je trouve votre analyse sur l'apparition/disparition très intéressante. En effet, il y a un jeu à la lisière du fantastique sur la réalité de Mud. Et le traitement se fait toujours en douceur, Nichols ne souligne rien, il se contente de présenter une figure héroïque qui prend chair avant dans le final de reprendre un aspect chimérique.
RépondreSupprimerMerci ! Vous avez raison : la dimension fantastique de Mud opère en toute discrétion. Et elle s'inscrit dans tout le réseau d'éléments, constitutifs du caractère initiatique de ce film, que vous avez observé.
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