7.4.13

Chronicle

Je lis que Wikipédia, Première et le Figaro classent Chronicle parmi les films de "found footage". Le found footage désigne pourtant une pratique créative fondée sur le recyclage, plus précisément sur le remploi de la chose même (autonomisée), dont Fernand Léger aura esquissé la définition dans ses notes préparatoires en vue du Ballet Mécanique, au début des années 1920.


Je suis très sensible au mouvement des concepts, mais il ne faudrait pas que Chronicle, [Rec] et Le projet Blair Witch viennent recouvrir un territoire esthétique peuplé d'expériences visuelles alternatives et très spécifiques. Chronicle est un film de genre - je le dirais fantastique - apparenté au Projet Blair Witch à l'instar de l'âge de ses personnages, et surtout de son dispositif (sa caméra "diégétique"). La démarche de Josh Trank ne se réclame pas du found footage : son film n'est pas construit à partir d'images préexistantes, enfin tout ceci relève bien de la fiction.

Voilà pour en arriver à dire que ce film m'a, par ailleurs, intéressée. Il y a des films qu'on devrait regarder comme on on a regardé ceux de l'école de Brighton. Je pense notamment à celui de Williamson, The big swallow, réalisé en 1901. Il s'agit d'un essai très amusant, qui dure une petite minute.


Ce film est tout à fait représentatif des expériences menées par les cinéastes de l'école de Brighton, qui portaient sur le montage, les points de vue et le cadrage, ici plus spécialement sur le gros plan, sur l’œil auquel s'identifie le spectateur de cinéma, et l'espace imaginaire qu'il occupe (du côté de la caméra). Ces travaux interviennent à l'origine de la mise en place progressive d'un "mode de représentation institutionnel", analysé par Noël Burch : ce que découvrent Williamson, Smith et les autres membres de l'école de Brighton sera exploité par le cinéma narratif de facture classique.

Je note toutefois le caractère ludique et sensationnel de ces petites scénettes (qui relèvent bien de l'attraction foraine), ainsi que leurs dimensions pédagogiques et allégoriques. A mes yeux, le bourgeois outré qui dévore le photographe situé du côté de la caméra est l'image d'un certain académisme qui voudra nous faire oublier ce qu'on appelle le "dispositif". Mais au fond, la caméra  résiste, n'en déplaise à ce gros goulu qui s'en éloigne, pétri de satisfaction... son pouvoir risible ne s'exerce qu'entre les limites d'un petit monde que la "caméra", cet œil fantastique que nous prête le cinéma, excède formidablement. On peut sans doute lire The big swallow de beaucoup de façons différentes, mais on ne peut nier qu'il joue sur les registres de la sensation et de l'allégorie, et qu'il participe à l'éducation du spectateur d'hier et d'aujourd'hui.

Chronicle de Josh Trank

Il me semble que, plus de 110 ans plus tard, le film de Josh Rank s'apparente au "grand avalement" de Williamson. J'insiste : Chronicle n'est pas un film "expérimental" au sens où il serait l'héritier des avant-gardes européennes des années 1920. Il s'agit d'un film narratif, produit dans le cadre de l'industrie du divertissement - par la société Davis Entertainment. Par ailleurs (et c'est dans cette mesure qu'il s'inscrit à mes yeux dans la lignée des expériences de Brighton) il a d'un part, la fraîcheur d'une bonne attraction foraine, et de l'autre, une vertu pédagogique notable. Il doit ces qualités à une donnée scénaristique élémentaire et galvaudée, mais qu'il exploite jusqu'à la lie : la télékinésie de ses personnages.

Chronicle raconte l'histoire de trois jeunes hommes qui utilisent une caméra pour filmer leurs péripéties. Contrairement à celui de The big swallow, le point de vue demeure donc tributaire de cette caméra diégétique, de bout en bout. En conséquence, il devrait rester assez contraint (dé-cadrages, tremblements, montage "plan sur plan"), à l'instar de celui des autres films de "caméra diégétique" : bien évidemment ces adolescents ne disposent pas du matériel nécessaire à la réalisation d'un blockbuster. Mais ils se découvrent des pouvoirs surnaturels. Accessoirement, l'un d'entre eux apprend à exercer son talent de télékinésie sur la caméra, qu'il maintient en lévitation autour de lui. L'intrigue ne se noue pas autour de ce phénomène, mais l'instance de monstration se voit tout de même profondément impactée. Ainsi, à mesure que les pouvoirs des personnages prennent de l'ampleur, le point de vue s'émancipe de leur position dans l'espace pour tournoyer autour de l'action. Peu à peu, le film prend donc une allure tout à fait ordinaire en termes de focalisation... à ceci près que les mouvements de la caméra ne seront pas perçus comme de simples "effets".

Ils seront lus comme le fait d'un esprit en acte (en l'occurrence, celui du personnage qui contrôle l'appareil). C'est à la fois très impressionnant, et tout-à-fait pédagogique. Il me semble que si le spectateur observait chaque mouvement d'appareil comme le fait d'un esprit en acte, avec l'émotion, et la vigilance que cela suppose, le cinéma aurait quelque chose à y gagner... Et si on le prenait au mot, un film d'"attraction" aurait bien son rôle à jouer, au regard de l'histoire du cinéma. Je laisse donc un petit lien vers un article de Tom Gunning qui explique son concept de "cinéma d'attraction", forgé à partir d'un aspect du cinéma des premiers temps, mais qui me paraît être un biais intéressant pour appréhender certaines tendances du cinéma contemporain dit "de divertissement".


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