21.3.13

Prix World Press 2012

Une récente conversation à propos de retouche et de post-production photographique me permet de formuler la profonde perplexité qui m'aura envahie le mois dernier, alors que je découvrais l'image récompensée par le prix World Press 2012. Il s'agit d'une photo du Suédois Paul Hansen, qui représente les funérailles de deux enfants tués par balle à Gaza. Les corps emmitouflés dans des linceuls occupent le premier plan. Derrière eux, engouffré dans une petite ruelle, un cortège de visages masculins exprime la tristesse et la colère. L'image a fait débat : elle est ostensiblement retravaillée, au regard de ses contrastes et de sa perspective accusée.

Je note que ce genre d'effets n'est pas la chasse gardée du numérique. Ils peuvent être obtenus dans le cadre de la technique argentique, au moment de la prise de vue ou en aval, au stade du développement en laboratoire. Le problème que me pose cette photo n'est pas lié à la post-production numérique en tant qu'elle nuirait à l'authenticité de l'image. Il est lié au rendu.

Ce rendu serait donc "cinématographique". Et Dominique de Viguerie, membre du jury World Press, de le dire avec satisfaction. La conception du cinéma de Dominique de Viguerie ne mérite pas qu'on s'y attarde trop longtemps. Admettons : >> cette photo est cinématographique.

Fort heureusement, tous les films ne le sont pas.

L'ensemble m'inquiète quant à notre rapport au réel, et à son image. Encore une fois, la question relève moins des éventuelles manipulations que l'on peut infliger à une photo, que de son aspect final. Il est encore possible de post-produire, voir de retoucher une image, sans lui donner cette allure pédantesque qualifiée de "cinématographique". Par ailleurs, si cette lumière était naturelle, si je-ne-sais-quel "moment de grâce" parfaitement hors de propos avait été saisi par l'objectif de Paul Hansen, mon problème resterait le même.

Replaçons les choses dans leur contexte : chaque année, le prix World Press entend récompenser la meilleure photographie de presse. Or, une photographie de presse porte sur le réel. Soit, elle s'adresse à l'oeil. Elle doit être révélatrice et intelligemment composée. Elle peut être expressive, saisissante, dans la mesure où c'est le réel qui, à travers elle, vient toucher notre regard. Mais il faut beaucoup de mépris pour penser que le réel doit se donner ces airs de prêt-à-consommer pour nous atteindre. Car ce que désigne le terme de "cinématographique", c'est l'esthétique commerciale et bouffie dont se réclame la photo de Paul Hansen : le "cinéma", auquel Dominique de Viguerie fait ici référence, est une réserve de fictions racoleuses.

Or, ces deux enfants sont morts.

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