12.5.13

Le terrain et les bâtisseurs

Jeudi 2 mai dernier, l'Univers (Lille) programmait Roms d'ici, le film de Thomas Dumont dont j'ai parlé sur ce blog, ainsi que Le Terrain de Bijan Anquetil, un autre documentaire tourné dans un campement. 

Bijan Anquetil a suivi la vie d'une communauté de Roms, depuis son installation sur un petit terrain à Saint-Denis, jusqu'à son expulsion un an plus tard. Comme l'indique le titre de son film, la question du lieu est, toujours, cruciale ; elle se fait le soutènement d'une société vivante. En l’occurrence, cette société est celle de remarquables bâtisseurs. Tout au long du film, on voit les Roms recueillir, construire et préserver, à la fois matériellement et humainement. A la fin, l'image d'un tas de gravas au beau milieu du terrain dépeuplé, atteste d'un pouvoir extérieur et contraire, du pouvoir de démantèlement qui neutralise leur travail.

Ce film a été projeté dans le cadre du festival international du film documentaire ("Cinéma du réel") le 25 mars 2013. Les propos de Bijan Anquetil, retranscrits dans le journal du festival, sont instructifs. 


Bijan Anquetil dit que les Roms ne sont pas un "sujet". Il insiste sur la dimension politique de cette position. Comment comprendre cela ? Le Terrain n'est pas un film "sur" les Roms. D'ailleurs par bien des aspects, il échappe aux tendances explicatives, ou expressionnistes dont on peut faire preuve quand on traite un sujet. Bijan Anquetil ne soumet pas un sujet à son regard, fut-il analytique ou indigné. Les Roms ne sont donc pas assujettis. Le point de vue de Bijan Anquetil s'est plié à leur volonté (finalement, au lieu de suivre les ferrailleurs comme prévu, il est donc resté avec les femmes sur le terrain). Le montage est subordonné au fil de leur vie quotidienne, ainsi qu'à l'évolution du rapport qu'ils ont entretenu avec le cinéaste, et avec l'objectif. En somme, en aménageant leur milieu devant/avec l’œil de la caméra, les Roms ont aussi construit le film.



Dans mon souvenir, Le Terrain s'ouvre sur des plans plus ou moins généraux de la ville de Saint-Denis. On pourrait y voir un élément de contextualisation (ici géographique), qui n'est pas loin d'être le seul, d'ailleurs. Sauf que de telles images vont aussi clore le film, après celle des gravas auxquels sont réduites les constructions des Roms, au bout d'une année. Si sommaire soit-il, un tel choix de montage me paraît signifiant.

Tout au long du film,  l'entretien et l'engendrement des relations humaines entre les Roms, la tresse des liens sociaux au sein de leur communauté, répondent à l’aménagement des lieux, à l'édification des abris à partir de matériaux de récupération. Le domaine de l'architecture, et même de l'urbanisme (puisqu'ils construisent-là une petite ville), s'articule solidement à celui du sociétal. Dès lors, les vues aériennes de la ville de Saint-Denis, en pleine mutation urbanistique depuis l'inauguration du Stade de France, nous parlent évidemment de notre société. D'un espace résiduel à l'autre, les Roms sont pris dans ce dédale qui moutonne d'indifférence, et resserre son étau sur le champ du possible.

Le Terrain de Bijan Anquetil (2013)


Certains cinéastes sont un peu urbanistes sur les bords. Ceux auxquels je pense spontanément sont surtout de grands monteurs, impliqués dans les avant-gardes des années 1920 : il y a Dziga Vertov, par exemple. La ville est un agencement de blocs spatio-temporels, auquel le film superpose le sien, par l'opération du montage. A première vue, on se dit que Le Terrain n'est teinté d'aucun constructivisme, tant l'intervention de Bijan Anquetil se fait discrète. Le cinéaste semble vouloir laisser advenir le réel. Mais entre le début et la fin du film, c'est à dire entre deux plans de Saint-Denis en grands travaux, il creuse l'interstice, il réserve un "terrain" (filmique) durable et sensiblement élargi, pour permettre à quelque chose de se construire. 

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